19 de enero de 2012

Ce n'est plus une dictature...c'est un régime militaire....

CHILI

Effacer la dictature des livres d'histoire, c'est grave

La décision du ministère de l'Education de remplacer le mot dictature par celui "régime militaire" dans les manuels scolaires a suscité une levée de boucliers. Un débat qui n'est pas innocent, affirme cette historienne : changer les mots, c'est transformer la réalité.
06.01.2012 | Cristina Moyano | El Mostrador


Le programme scolaire officiel approuvé par le Conseil national de l’Education, le 9 décembre dernier, marque une rupture conceptuelle importante concernant l’histoire récente de notre pays : à la page 31 du programme d’histoire, le terme de “dictature militaire” a en effet été remplacé par “gouvernement militaire”.

Pour certains, ce changement conceptuel est infime et ne modifie en rien la réalité de ce qui “s’est réellement passé” au Chili pendant 17 ans. La majorité des Chiliens savent que les militaires ont gouverné de manière autoritaire, qu’ils ont été portés au pouvoir par un coup d’Etat et renversés par un gouvernement démocratiquement élu, qu’ils n’avaient pas le moindre respect pour les droits de l’homme et qu’ils ont transformé radicalement les fondements matériels et subjectifs de notre nation. Pour d’autres, le concept n’a pas vraiment d’importance si nous sommes capables de débattre en public de notre histoire et si la télévision aborde ouvertement les atteintes aux droits de l’homme avec des séries comme “Les archives du Cardinal” ou la dernière saison de “Les années 80”.

En tant qu’historienne, je m’insurge contre ces affirmations, parce que le débat sur notre passé reste ouvert et que les changements conceptuels ne sont ni innocents ni anodins. Ces changements cachent une intention politique et idéologique évidente et c’est pourquoi il est important de la rendre visible au plus grand nombre. N’oublions pas que c’est ce passé qu’on va enseigner aux enfants de notre pays.

En janvier 1999, un groupe d’historiens dirigé par Gabriel Salazar, Julio Pinto, Mario Gracés, Sergio Grez et María Angélica Illanes ont endossé la lourde charge de débattre ouvertement de la dénomination et de la représentation de notre passé récent, s’opposant ainsi à l’historien de droite Gonzalo Vial et à son histoire du “régime militaire” expurgée des atrocités commises pendant ces 17 années, vue selon une perspective où le coup d’Etat est conçu comme la planche de salut d’institutions politiques démocratiques en phase terminale. De ce travail est né le célèbre “Manifeste des Historiens” signé par des milliers d’historiens chiliens et étrangers.

Nous autres historiens savons que les concepts sont des outils essentiels pour la constitution de la réalité sociale. Car de tels concepts contribuent à produire les signifiés de cette réalité matérielle qu'on aspire à non seulement à nommer, mais aussi à transformer. Dans cette optique, la conceptualisation est un processus éminemment politique, et le débat sur l'utilisation de tel ou tel concept revêt une importance capitale pour définir le passé et l'avenir.

Dès lors, remplacer le concept de dictature par celui de régime militaire revient à changer le champ de l'expérience nominale, et, partant, les horizons d'attentes des acteurs sociaux. Le ministre [de l'Education] Beyer trahit ses intentions lorsqu'il affirme que régime/gouvernement militaire est un concept plus général que celui de dictature, et que donc son emploi est justifié, même s'il déclare ensuite qu'il croit que ce régime a été “effectivement dictatorial”. Ce n'est pas un problème de généralité ou d'objectivité, car l'histoire n'est pas objective, mais sujette à interprétation, ouverte au débat et par conséquent politiquement construite.

Quand le Chili est revenu à la démocratie, ce débat a eu tôt fait d'agiter le monde de l'enseignement. Il a fallu plusieurs années pour qu'on puisse dire publiquement qu'entre 1973 et 1990 le Chili avait connu une dictature militaire. Cette appellation a fait l'objet d'âpres discussions, et cette même droite qui gouverne aujourd'hui le pays a systématiquement refusé qu'on introduise le terme de dictature dans les programmes d'études et les manuels scolaires. Résultat, les propos du ministre non seulement ne convainquent pas nos concitoyens, mais encore dissimulent ce que tout processus de conceptualisation implique : imposer politiquement une nouvelle vision du passé, où les atrocités commises pendant 17 ans contre des Chiliens seront occultées par un concept comme celui de régime/gouvernement militaire. La droite qui dirige aujourd'hui le pays veut qu'on interprète le passé dans ce sens, et même si une telle position est licite en démocratie, car elle s'inscrit dans le contexte plus large de la lutte pour le pouvoir, il serait important et éthiquement souhaitable que ce gouvernement le reconnaisse.
Note :* Historienne.

8 de enero de 2012

De nouveaux charniers en Argentine

Charniers et vols de la mort : l'Argentine continue de découvrir les horreurs de la dictature

LEMONDE.FR | 16.12.11 | 18h25   •  Mis à jour le 16.12.11 | 18h25

 Orlando Agosti (droite), Jorge Rafael Videla (centre) et Emilio Massera, personnages centraux de la dictature militaire argentine, assistent à une cérémonie officielle, en 1977.
Orlando Agosti (droite), Jorge Rafael Videla (centre) et Emilio Massera, personnages centraux de la dictature militaire argentine, assistent à une cérémonie officielle, en 1977.AFP

La dictature militaire en Argentine (1976-1983) n'a pas seulement commis des crimes contre l'humanité, elle a aussi essayé de les cacher. Depuis quelques jours, les exactions perpétrées lors de cette période de l'histoire du pays resurgissent et témoignent de son horreur. Le Centre d'information judiciaire (CIJ) a ainsi révélé, mercredi 14 décembre, la découverte d'un nouveau charnier dans l'ancien arsenal Miguel de Azcuénaga à Tucuman, dans le nord du pays. Le lendemain, des photographies et des documents prouvant l'existence des "vols de la mort" ont été rendus publics.

Les restes d'au moins quinze personnes ont ainsi été découverts dans une fosse commune sur le site de l'ancien arsenal, dans le cadre des fouilles menées sur place par l'équipe d'anthropologie médico-légale. "Les corps ont été retrouvés à différents niveaux de profondeur", précise le CIJ sur son site Internet. Aux côtés des squelettes, partiellement carbonisés, les scientifiques ont constaté la présence de douilles.
"Nous avons la preuve qu'il s'agit d'un lieu d'exécution", indique le Centre d'information judiciaire. Plusieurs restes humains avaient déjà été retrouvés sur le site de l'ancien arsenal au mois de mars. Au total, quatre charniers ont été découverts dans ce qui est présenté comme le plus grand centre de détention clandestin du nord du pays, explique Público. Environ neuf cents prisonniers y auraient été reclus. Selon Clarín, l'endroit a été actif dès 1975, lors de "l'Opération indépendance", mise en place pour éliminer la dissidence politique.
Par ailleurs, les équipes médico-légales ont identifié, mardi, la personne dont le pied droit avait été retrouvé au milieu des restes d'autres victimes, début 2010, au Pozo de Vargas. Il s'agit de l'ancien sénateur Guillermo Vargas Aignasse, enlevé en 1976 devant sa famille, précise La Nacíon.
DES PREUVES MATÉRIELLES DES "VOLS DE LA MORT"
Jeudi 15 décembre, la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a transmis au juge fédéral Sergio Torres des documents prouvant l'existence des "vols de la mort" – une des techniques auxquelles avait l'habitude de recourir l'armée lors de la dictature pour se débarrasser des prisonniers politiques. Y figurent près de cent trente clichés qui confirment que les militaires de l'Ecole supérieure de mécanique de l'armée (ESMA) – qui fut le plus important des centres de détention utilisés lors de la "guerre sale", jetaient les opposants dans la mer du haut d'avions. Les corps étaient ensuite laissés à la dérive. Certains, charriés par le courant, venaient s'échouer au large des côtes de l'Uruguay.
La majorité des victimes a été retrouvée pieds et poings liés. Certaines ont été torturées avant d'être jetées à l'eau, comme le révèlent les marques laissées sur leurs cadavres par des décharges électriques réalisées à l'aide de pinces métalliques.
Tous ces documents proviennent des forces armées uruguayennes. Ils reposaient jusqu'à présent dans les archives de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, qui a décidé de les déclassifier. C'est la première fois que des éléments de cette teneur sont rendus publics. Le juge Sergio Torres est chargé d'instruire le dossier sur les crimes commis dans le sillage de l'ex-ESMA.
Il est dorénavant question d'identifier la personne qui a pris les photographies. Selon la presse argentine, il s'agirait d'un Uruguayen qui a fui son pays dans les années 1980. L'objectif est de recueillir son témoignage pour contextualiser les faits : dates de prise des clichés, coordonnées géographiques précises, etc.
Le secrétaire général de la CIDH, Santiago Canton, considère que ces documents "viennent clore un cycle, commencé avec le recueil des plaintes concernant de graves violations des droits de l'homme et qui permet aujourd'hui de poursuivre les responsables".
Les organisations des droits de l'homme estiment que 30 000 personnes sont mortes lors de la répression politique liée à la dictature. Depuis l'accession au pouvoir de Nestor Kirchner (2003-2007), l'annulation des lois d'amnistie votées sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999) et la réouverture des procès, les autorités souhaitent que les militaires responsables d'exactions soient rapidement condamnés.
>> Retrouvez la chronologie des poursuites judicaires avec notre thématique "L'Argentine en procès", accessible en zone Abonnés.
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